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.. Trains de vie ..

Une absence (Manille)

Je ne me souviens pas de grand chose. Il est onze heures passées et je sors d’un restau avec des amis. Saint Michel, dernier RER vers chez moi. J’ai le temps de me griller un clope. L’attente, et ce train qui ne vient pas. Il y a deux types qui discutent sur le banc. Deux vieilles aussi, dont une que je crois reconnaître. Et un jeune qui écoute son walkman. Je regarde les secondes s’égrener lentement sur l’horloge du quai d’en face. Et ce train qui ne vient pas. J’ai l’impression de respirer difficilement. Le mur. Tenir. Même si je me sens partir. Là. Tout de suite. J’entends le train. Je vois les phares. Vick. C’est le bon.
Quand je rouvre les yeux, je suis étendue sur le quai. Le train est encore là. Est-ce bien le même ? Combien de temps suis-je restée allongée sur le sol gelé ? Je tente de me lever. Tout tourne autour de moi. Plus rien n’est vertical. Je m’accroche au mur, à mon sac, à ma tête. Le regard brouillé, je vise le marchepied. Cinq pas. Ne pas retomber. Quatre pas. Je crois que je rampe. Trois pas. C’est le dernier train. Deux pas. J’y suis presque. Un pas. La sonnerie du train. Agrippée à la poignée comme si ma vie en dépendait, je me hisse dans la rame. Une marche, puis une deuxième. Enfin, je m’effondre sur une banquette. La tête posée entre mes mains, je ferme les yeux. Ne pas me laisser aller. Pourtant ce serait tellement facile... Pourtant... Les sons me parviennent amplifiés et fusionnés dans un magma indistinct. J’essaie d’accrocher mes pensées à tout ce qui passe : les stations, les pas des gens, les pages des livres qui se tournent... Et ce train qui n’avance pas...
Enfin, je sens mon esprit qui redémarre. Le train aussi. Je lève la tête ; nous quittons la station Champs-de-Mars. En un quart d’heure à peine, je me sens à nouveau comme s’il ne s’était rien passé. J’ai seulement un nouveau trou dans mon emploi du temps, et ma crainte que cela ne se reproduise continue de grandir...